Ossuaire de Douaumont
Premier Novembre, jour des Morts. Profitant d'un après midi de libre et surtout d'une météo favorable, je décide de tuer le temps sur les routes du Grand Est. Sur les coup de 13h je quitte la gare de Blainville-Damelevières en voiture, sur le fauteuil passager mon M4,dessus mon 21mm, dedans une Tri-x sur la fin et à côté un Acros vierge pour immortaliser le périple.

Lassé de la monotonie de l'autoroute, je quitte l'A31 à Metz et prend la D603. Je ne suis pas pressé. L'idée de traverser cette terre à une allure plus modérée me plait. La lumière est douce et belle. Elle confère une atmosphère particulière à cette région et me donne l'envie de m'y perdre. Pourtant il n'y a pas grand chose. La Meuse, des champs, interminables, à perte de vue. Entrecoupés de petites villes: Doncourt-Lès-Conflant... Jeandelize...Warcq, une voie de chemin de fer non électrifiée mais autour, toujours le même vide, une terre légèrement vallonnée.
Dans les derniers kilomètres la végétation devient plus dense, les vallons plus marqués, puis un panneau indique "champs de bataille". Je tourne à droite. La route est plus étroite, la forêt plus épaisse, le soleil plus bas. Si derrière moi le temps ne semblait pas avoir une grosse emprise, ici il semble s'être arrêté. L'atmosphère est lourde. Dans la voiture je coupe la musique, comme si celle ci était tout à coup devenue gênante. Le feuillage a revêtu sa teinte automnale, magnifiée par un soleil venu le caresser sur la fin de sa course quotidienne. Sur le bord de la route des voitures stationnées, des promeneurs jeunes et vieux, mais surtout, des plaques explicatives, commémoratives. La terre est déformée, elle porte un stigmate centenaire dont elle semble avoir le plus grand mal à se défaire. Au bout de 5km, la vue se dégage et laisse entrevoir cette immense épée de pierre enfoncée dans la terre jusqu’à la garde. L’ossuaire de Douaumont.

J’abandonne ma voiture sur la première place qui se présente à moi juste après une immense Table de la Loi écrite en hébreux, honorant les combattants juifs mort pour la France et j’agrippe mon Leica. En ce jour de mémoire les visiteurs sont nombreux à avoir profité de cette douce journée d’automne pour venir rendre hommage à un aïeul, à l’histoire, aux héros ou alors pour se souvenir. Je veux le saisir avec mon appareil.

Un immense drapeau français flotte paisiblement au milieu d’un jardin de 16142 croix blanches portant le nom de ceux dont on a pu identifier les restes. Une densité de population à faire pâlir une mégalopole chinoise. Il y a plus de tombe dans la nécropole que d’habitant à Verdun. Pourtant le calme règne, l’enfer s’y est trop déchaîné il y a 101 ans et la délaissé depuis. Les visiteurs déambulent au milieu, à la recherche de la sépulture d’un aïeul, d’un nom de famille. Des militaires en régiment sont là aussi. On se recueil, on médite, on imagine, on constate.
Les premières minutes je n’arrive pas à shooter, j’ai l'impression d’être un paparazzi, de violer des instants d’intimités, alors je me recueil aussi, je médite, j’imagine, je constate. La terre a saigné ici, mais les visages que je croise ne pleure pas la perte d’un proche. J’entends des rires, des conversations banales, des langues étrangères...des sonneries de téléphone. Je commence à shooter.



Au grand angle impossible de ne pas être absorbé par l’architecture de l’ossuaire, ses lignes, sa symétrie, le soleil qui l’illumine d’un côté, l’ombre qui la dévore de l’autre, les contrastes. La nécropole et ses croix alignés sur des centaines de mètre...la scène est tellement photogénique ! Les poses partent, les souvenirs resteront. La pellicule se rempli trop vite, je fais une pause.Je pénètre dans l’ossuaire. A l’intérieur je laisse l’appareil de côté, on est plus de 130 000, dont une centaine de vivant tout au plus. Les vitraux rouges illuminent l’intérieur et donnent l’impression d’être au purgatoire, je me sens scruté par tous les pensionnaires des lieux, comme s’ils essayaient de me raconter leur mort. Je ne m’attarde pas et passe même à côté de l’ascension des 46m de la tour, la vue devait y être imprenable ! dommage...

Je retourne à l'extérieur, le soleil se cache maintenant derrière la forêt et n’illumine plus grand chose, dans le ciel l’orange et le bleu se livrent une bataille bien plus belle à regarder que celle qui s'y est déroulé il y a un siècle. Il n’y a plus grand monde ici. Les militaires regagnent leur bus, sur le parking une voiture m’interpelle. Une Dodge Dart de 1966, immatriculé dans l’Illinois, à l’intérieur une déco qui sent bon la “beat génération”, au loin un couple au fort accent américain se dirige vers la nécropole….je shoote. 35ème pose...
Je reprends ma voiture pour me rendre au Fort de Douaumont tout proche. Sur place j’arme, je déclenche, je réarme, le levier s’arrête à mi-course. 37ème pose, le film est fini. Je ne reste pas, remonte dans la voiture et retourne sur Nancy. La nuit est déjà tombée, j’emprunterai l’autoroute. 

Un pub Irlandais à deux pas du cours Léopold, les collègues sont déjà au billard, la première tournée de Guinness a déjà coulé. Je rattrape le retard. Ce fût une journée pleine et ma peloch à encore des histoires à raconter.
Douaumont
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Douaumont

Ossuaire de Douaumont, mémorial de la bataille de Verdun

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